Diffusé en janvier 2018 sur une autre plateforme, cet article trouve (enfin) sa place sur notre blog !

Chief Happiness Officer (CHO), Responsable du Bonheur, Feel Good Manager… les appellations diffèrent, mais le poste est le même. Tout droit venu de la Silicon Valley, la fonction de CHO a récemment fait son apparition en France. En témoigne le nombre d’offres, multiplié par 6 chaque année.

Alors que pleuvent les articles sur ce, que s’accumulent les sources d’informations théoriques à ce sujet, nous avons souhaité étudier ce nouveau poste sous un angle pratique, en donnant (enfin) la parole aux CHO. Portrait croisé de trois CHO, engagées par trois entreprises de tailles différentes :

  • Bérengère Cochet de la startup MakeMeReach
  • Nathalie Forestier de la PME Allo Resto
  • Audrey Gaspard-Kponton du Groupe Auchan

Comment décrivent-elles leur poste et leurs missions ? Que pensent-elles de la prolifération de ce nouveau métier ? Ont-elles des réserves à émettre sur l’entêtement actuel des entreprises à rendre leurs salariés heureux ?


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CHO en startup, PME ou grande entreprise… quelles fonctions communes ?

D’après la définition du cabinet de recrutement Elaee, le Chief Happiness Officer « a pour objectif de créer des conditions dans lesquelles les salariés vont trouver du bien-être. Mieux encore, du bonheur ».

Comment les CHO eux-mêmes définissent-ils leur métier ? Nathalie Forestier déplore que « le grand public et les médias pensent à tort que le métier de CHO est d’organiser des fêtes ou des événements internes » alors que le CHO est « avant tout là pour être à l’écoute des employés et instaurer un climat bienveillant où chacun puisse questionner, proposer, innover » d’après Bérengère Cochet.

Pour Audrey Gaspard-Kponton, qui s’est auto-proclamée « Artisan du Bonheur », le métier de CHO se définit plutôt par un ensemble de valeurs : développement des Hommes, transmission de savoir, coaching, bonne humeur, sens du beau et du partage... Conduire des changements au quotidien pour l’amélioration de la qualité de vie au travail est une autre mission importante du CHO.

Les missions principales afférentes au poste de CHO sont le pilotage de la communication interne, la fédération autour de valeurs commune et l’innovation pour le bien-être en entreprise. Selon Nathalie Forestier, l’un des rôles clé du CHO est celui d’un médiateur qui favorise la communication interne. Chez Allo Resto, elle a créé une boite à questions pour instaurer la transparence : les employés peuvent poser toutes sortes de questions et le DG y répond en direct.

Sécurité, prévention, convivialité, bien-être, pratique du sport… tous les moyens sont bons pour rendre les salariés heureux.

Le poste de CHO requiert d’avoir une vision globale du bonheur en entreprise. L’invention relativement récente de cette fonction et la mesure difficile de la valeur abstraite « Bonheur » représentent un vrai défi pour les CHO : il n’y a pas de cahier des charges établi.

Les missions du Chief Happiness Officer ne se limitent pas à l’organisation d’apéros le vendredi et de corbeilles de fruits en libre-service pour le bien-être des collaborateurs… il faut se montrer plus visionnaire.

Pour Audrey Gaspard-Kponton, le rôle du CHO est bien de « mener des transformations profondes dans l’organisation et conduire des changements vers des modes de management et de fonctionnement plus disruptifs ». Un bon CHO doit selon elle posséder un bon état d’esprit, une curiosité sans bornes, une capacité à sortir du cadre en permanence et surtout, un fort leadership.



Le bonheur, un investissement rentable ?

Pour quelles raisons les employeurs sont-ils de plus en plus nombreux à faire appel à un CHO ? Pour Bérengère Cochet, ces créations de poste relèvent d’une prise de conscience sur des problématiques comme le stress au travail et les burn-out.

Une étude récente du cabinet Stimulus a révélé que 24% des salariés seraient en situation d’hyperstress, ce qui traduit le besoin urgent qu’ont les employeurs d’agir sur la qualité de vie au travail, pour traiter ces problèmes de fond. Il convient de repenser les politiques internes de l’entreprise pour améliorer durablement le bien-être des collaborateurs et lutter contre le stress en entreprise, les burn-out, mais aussi l’absentéisme ou les accidents de travail.

  • Fidéliser les collaborateurs

Pour Audrey Gaspard-Kponton, prendre soin des collaborateurs comme on prend soin de ses clients doit être une priorité pour les entreprises : c’est même vital pour leur performance économique. « Le rapport employé-employeur est passé d’une relation maitre-serviteur à une relation de bienveillance et de confiance mutuelle ». Développer le sentiment d’appartenance des employés, les rendre fiers de défendre les couleurs de leur entreprise, c’est cela qu’attend l’employeur de son Chief Happiness Officer.

  • Séduire les talents

Et notamment les jeunes profils, en leur offrant plus qu’un simple travail. Comme l’explique Bérengère Cochet, « la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle est de plus en plus floue. Les jeunes employés attendent maintenant autre chose qu’un salaire : ils veulent un cadre global ». MakeMeReach, l’entreprise pour laquelle elle travaille, prend en charge le programme sport illimité Gymlib. Cela permet de véhiculer l’image d’une entreprise soucieuse du bien-être de ses salariés et réellement engagée pour celui-ci.

  • Améliorer la productivité

Les entreprises qui recrutent un CHO partent du postulat que des collaborateurs heureux sont plus efficaces et plus productifs que s’ils ne l’étaient pas. Tony Hiseh est l’un des premiers à avoir théorisé cette corrélation entre bien-être au travail et performance de l’entreprise dans son ouvrage L’entreprise du Bonheur (2011). Il y explique qu’il doit ses succès entrepreneuriaux non pas aux profits et aux rendements, mais au bonheur de ses employés et de ses clients. Engager un CHO, c’est investir pour un ROI nettement supérieur.


Les motivations d’une entreprise à créer un poste de Chief Happiness Officer sont facilement identifiables, de même pour les objectifs du CHO. Qu’en est-il des résultats ? Est-il possible de mesurer le bonheur ?

Nos 3 CHO s’accordent à dire que le bonheur est une variable très subjective, difficilement étalonnable. Mais il n’est pas impossible de mesurer l’impact des actions engagées, grâce à des indicateurs de performance adaptés à chaque entreprise. Chez MakeMeReach, on se base sur des critères subjectifs, comme la bonne humeur dans les bureaux et la solidarité entre les équipes. Chez Auchan, on s’appuie sur des révélateurs quantifiés : le turn-over, le taux d’absentéisme, le taux d’accidents de travail, etc.

CHO en entreprise : « must-have » du moment ou rôle vital ?

La fonction « in » de Chief Happiness Officer est-elle un indispensable ou un gadget marketing pour valoriser la marque employeur ? On peut se questionner sur les convictions de l’employeur qui engage un CHO : veut-il rendre les salariés heureux ou faire du chiffre ?

Audrey Gaspard-Kponton reconnait volontiers que certaines entreprises recrutent un CHO par pur social washing, mais dans son cas, elle est convaincue par la sincérité de l’intention du Groupe Auchan. À terme, les entreprises pourraient se servir du bonheur comme d’une marchandise, mais ce sont les résultats qui importent, pas l’intention.

Le bonheur des salariés est devenu un enjeu trop important pour passer à côté.

Autre question que l’on peut se poser : n’y a-t-il pas un décalage entre les actions qui peuvent être menées pour le bien-être des salariés et ce qui peut vraiment être réalisé par le CHO ? Sa marge de manœuvre peut être limitée par le bon vouloir des Ressources Humaines ou du Comité d’Entreprise.

Les CHO de MakeMeReach, Allo Resto et Auchan disent entretenir de bons rapports avec la direction et jouir d’une grande liberté dans leur travail. Mais tous les CHO peuvent-ils en dire autant ? On peut imaginer que certains Responsables du Bonheur soient confrontés à un management traditionnel trop rigide pour réformer les pratiques internes comme ils l’entendent. Idem pour le budget alloué à la fonction de CHO : c’est une variable déterminante. Sans fonds suffisants, difficile pour quiconque d’entreprendre les grands travaux du Bonheur au Travail.

Autre frein aux actions des CHO : les réserves internes vis-à-vis de ce nouveau poste. Le CHO doit convaincre tous les collaborateurs de sa légitimité et faire valoir la pertinence de ses actions. Audrey Gaspard-Kponton et Nathalie Forestier expliquent qu’il y a toujours des salariés réticents qui attendent de voir, mais que la plupart restent ouverts à cette nouvelle fonction.

Les startups sont plus à même de recruter un Responsable du Bonheur : une offre de poste de CHO sur deux (53%) provient des startups, 28% des PME et 18% des grandes entreprises. Pas facile d’intégrer un poste jusque-là inexistant dans les grands groupes. D’autant plus que le CHO d’une startup de 10 employés n’aura pas les mêmes enjeux que le CHO d’une entreprise de 10 000…

Les postes de CHO, Responsable du Bonheur ou équivalents continuent de fleurir en France, leur progression étant consolidée par la création de nouvelles structures comme le « Club des CHO » qui permet aux intéressés de partager les bonnes pratiques. Nos trois CHO voient de belles perspectives d’avenir pour leur métier, qu’elles refusent de considérer comme un effet de mode. C’est une fonction prometteuse, représentative de la nouvelle identité que veut se donner l’entreprise : bienveillante, transparente et donneuse de sens.

Etant donné la place grandissante que prend le bonheur dans les activités de l’entreprise, ne pourrait-on pas s’attendre à voir naitre un Département du Bonheur, au même titre qu’un Département des Finances ou un Département des Ressources Humaines ?

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