Quel futur pour les startups ? Quelles seront les licornes en 2030 ? Quel sera le symbole de la culture startup ?

Entretien visionnaire avec deux petits princes du paysage startup en France : Jérémy Clédat, CEO de Welcome to the Jungle et Sébastien Bequart, CEO de Gymlib.


Les startups existeront-elles toujours en 2030 ?

SB : Plus que jamais à mon sens ! Parce que le monde bouge et se transforme, ce qui crée un contexte favorable à l’émergence des startups. L’innovation advient plus facilement dans ces structures plus souples aux méthodes de travail agiles. Ça fait 5-10 ans que le mouvement de la French Tech prend de l’ampleur : en 2030 on aura encore plus de startups en France ! En startup, on peut vivre de l’intérieur la mutation du monde.

JC : Je pense que la startup existera toujours. La seule chose qui changera c’est sa définition. Aujourd’hui, une startup c’est une entreprise tech. Je suis persuadé que dans 20 ans la tendance sera différente. Parce que la tech deviendra mainstream et sera un élément basique de la réflexion de n’importe quel créateur d’entreprise. Par ailleurs, le contrat de travail disparaît progressivement, entraînant une porosité entre le monde du salariat que nous avons connu et le monde des indépendants, des créateurs d’entreprise. De plus en plus de personnes vont pouvoir mener des vies hybrides, ou tout du moins se trouver en permanence à la frontière de l’entreprenariat.

Les startups seront-elles par contre toujours aussi populaires ?

JC : J’ai vraiment le sentiment que cette popularité est un effet de mode lié au secteur mais aussi aux ambitions et aux envies des gens. Il y a 15 ans la mode c’était de travailler en finance, on vivait une époque où le statut et l’argent incarnaient les deux critères clés de la réussite. Tout a changé après 2008 : désormais c’est la tech qui est à la mode. Secteur qui a vu beaucoup d’entreprises exploser et qui rémunère extrêmement bien les collaborateurs.

ceci n'est pas une startup

La tech va-t-elle rester un secteur aussi populaire ?

JC : Aujourd’hui les gens recherchent beaucoupplus de sens dans ce qu’il font. Cette tendance va sûrement les amener à s’intéresser à d’autres industries. La tech en ce moment connaît de vraies difficultés. Beaucoup d’entreprises ont du mal à recruter à cause de ce manque de sens, même dans la tech !

SB : Une récente enquête du New York Times révélait que les jeunes diplômés ne voulaient plus aller chez Facebook ! Les stagiaires y sont payés 8000$ par mois, pléthore de services sont gratuits, mais ça ne suffit plus.

JC : Je pense que c’est une vraie réalité. Selon moi, certains secteurs vont renaître, aidés aussi par la technologie, parce que les gens vont y retrouver du sens. Je crois beaucoup au secteur agricole, au secteur industriel, ou encore aux services, comme Gymlib par exemple, parce que les gens peuvent y retrouver du sens.

50% de la Génération Z, née après 1995, ne veut pas devenir salarié, préférant créer son entreprise. Demain, tous solopreneurs ?

JC : Je n’y crois pas beaucoup à cette tendance. Le statut d’indépendant est assez fantasmé, c’est très compliqué, on dénombre une poignée d’élus seulement.

C’est avant tout l’entreprise qui est en train de réinventer son contrat social.

SB : Des entreprises comme IBM veulent stopper le télétravail pour placer l’innovation au coeur, avant même la productivité. L’innovation est souvent créée par l’intelligence et l’émulation collectives. Je ne crois pas à cette vision du monde où tout le monde sera digital nomad. Il faudra continuer à se demander comment créer du lien entre les équipes.

La culture startup inspire aujourd’hui toutes les entreprises. Quels éléments seront représentatifs de l’ADN de la culture startup ?

JC : L’énorme valeur dans une startup, côté salariés, c’est le sentiment d’avoir un impact concret dans la vie de l’entreprise.

SB : La culture startup, ce n’est pas uniquement la cosmétique (babyfoot et compagnie) et les bonnes pratiques QVT. Les bonnes pratiques au niveau managérial sont un élément différenciant. Les attentes dans ce domaine évoluent : les salariés ne recherchent plus qu’un statut et un salaire, elles veulent vivre une expérience collaborateur , une émotion. Comme un client avec une marque ! Manager ces profils demander à sortir du management traditionnel. En startup le manager doit être inspirant et créer une alchimie entre les compétences de chacun. Les grands groupes s’en inspirent et vont continuer à s’en inspirer car les startups seront toujours au plus près des tendances.

JC : Je trouve que le sentiment de survie est un moteur structurant, représentatif de la culture startup. Quand tu es leader mondial sur ton marché, la difficulté de te renouveler est gigantesque. A l’inverse, quand tu es une startup, ça ne te dérange pas de te renouveler du jour au lendemain, tu es obligé, et il arrive même que tu le fasses sans t’en apercevoir. D’ailleurs les startups qui grandissent perdent souvent ce moteur-là.

Cela signifie que les startups qui grandissent, après avoir concurrencé les grands groupes, vont elles-mêmes se faire dépasser par les prochaines startups ?

SB : Complètement, c’est l’exemple de Facebook qui a du mal à recruter ! Comme disait Jérémy, créer de l’impact dans une entreprise de 20 personnes est plus facile que créer de l’impact chez Facebook. Même dans les très belles startups, certains CEO me disent qu’ils ont énormément de mal à recruter des profils tech.

JC : Je pense que c’est naturel. Surtout que les personnes qui sont là en début d’aventure ne s’y retrouvent plus forcément ensuite, elles vont chercher ailleurs ce qu’elles ont aimé à l’origine, voire parfois aussi créer leur propre entreprise.

Quels sont les domaines qui auront le vent en poupe en 2030 ?

JC : On a connu dix ans de startups qui ont conçu leur marketplace. Demain, je pense qu’on ira vers des secteurs qui n’ont encore jamais bougé, à l’instar des industries de services un peu lourdes, des industries ultra régulées ou encore des industries traditionnelles type agriculture.

SB : Les startups dans quelques années seront toujours très orientées tech. L’intelligence artificielle (IA) ou encore la blockchain nous réservent un champ des possibles infini, de bonne augure pour les startups.

JC : Deux types de projet se dessineront : des innovations incrémentales dans des secteurs où on ne fera qu’optimiser une technologie déjà existante; et des innovations de rupture sur des secteurs très régulés, très protégés initialement.

seb et jeremy

Des révolutions qui prendront leurs racines...

SB : Pas forcément en Silicon Valley ! Soyons attentifs à l’Asie avec des pays comme la Chine ou l’Inde. Et la France !

JC : En France, on a vraiment la chance d’être les meilleurs mondiaux sur certains sujets.

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Les grands groupes font les yeux doux aux startups. Resteront-elles indépendantes ?

SB : C’est très sain qu’ils se rapprochent de cet écosystème et lancent leur propre incubateur, notamment pour créer des opportunités de sortie pour les startups. Grâce à cet intérêt, les entrepreneurs osent !

JC : C’est même indispensable que les startups se fassent racheter. C’est un cycle logique. On ne peut pas viser uniquement l’introduction en bourse ! Ni la PME à vie qu’on transmettra à ses enfants. Ce modèle historique est révolu. Le nombre d’entreprises qui porte le nom de ses créateurs a diminué de 90% ! C’est un détail mais le fond est intéressant.

A l’inverse, les startups rachèteront-elles des grands groupes ? On pense à Blablacar qui a racheté Ouibus du groupe SNCF.

JC : Seulement 15-20 startups dans le monde aujourd’hui sont capables de faire ça, à l’instar d’Amazon qui a racheté Whole Foods. Mais peut-on encore parler de startup ?

SB : Je ne pense pas non plus que ce modèle se développera. En revanche les grands groupes auront envie de mettre la main le plus tôt possible sur les startups prometteuses, en early stage.

Si on va un peu plus loin, les GAFA continueront de grandir car ils ont les moyens. Ce sont eux qui absorberont les startups !

JC : Ce sont d’ailleurs eux les nouveaux grands groupes ! Je ne vois pas aujourd’hui Airbnb racheter AccorHotels, même s’ils ont les moyens. A moins que ce soit très stratégique, certes. Je ne sais pas si acheter des infrastructures pour une relation de services apporte beaucoup de valeur. Alors que le contraire est vrai.

Quel sera l’élément qui permettra de devenir une licorne dans 10 ans ?

JC : Certaines entreprises ont fondamentalement changé la manière dont on consomme, je crois beaucoup en ça.

SB : On verra toujours des licornes à la Criteo. Un produit génial qui sera copié mais 5 ans trop tard ! Au-delà de ces modèles, je pense que les startups qui réussiront sont celles qui trouveront la nouvelle façon de consommer des gens 5 ans avant. Et parviendront ainsi à créer de nouveaux usages, de nouveaux besoins...

Si vous deviez créer une startup dans 10 ans, ce serait dans quel domaine ?

JC : Vous l’aurez compris en fil rouge : l’agriculture !

SB : L’éducation ! C’est un sujet que j’aime beaucoup et pour lequel il y a beaucoup de choses à faire.


Nous voilà rassurés : la startup nation a de beaux jours devant elle. Ces prochaines années, les grands groupes devront apprendre à apprivoiser les futurs petits princes des startups. Car « si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. »

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