Selon le rapport The Future of Jobs 2020, la COVID-19 a provoqué un changement du marché du travail plus rapide que prévu ! Les effets collatéraux sur l’expérience salarié sont visibles : accélération du télétravail et organisations plus flexibles mais aussi perte du lien social et fragilisation de l’équilibre de vie… Alors que les repères liés au travail s’effritent, les attentes des salariés vis-à-vis de leur employeur évoluent : liberté quant au lieu et temps de travail, rapport hiérarchique assoupli ou encore quête de bien-être au travail. Afin d’être au diapason avec ses nouvelles aspirations, les entreprises doivent se réinventer. L’enjeu est loin d’être anodin : il s’agit de (re)motiver les équipes et attirer les talents de demain, deux leviers RH essentiels pour enclencher la reprise. Comment anticiper les nouveaux contours du travail et se mettre à l’écoute des salariés ? Voici un décryptage des 5 attentes salariales incontournables à adresser en période de crise.


1. Le bien-être au travail : l’équilibre de vie sur le fil

La crise sanitaire a bouleversé les habitudes de travail : le télétravail est devenu la norme pour beaucoup de salariés. Dès mars 2020, entre cinq et huit millions d’actifs se sont mis à télétravailler à 100% du jour au lendemain, souvent sans y être préparés. Les salariés ont dû élaborer de nouvelles façons de travailler provoquant son lot de déstabilisations : plus de bureau, des horaires erratiques ou encore une frontière brouillée entre l’espace personnel et professionnel. Résultat : en avril 2020, 44 % des salariés présentaient de la détresse psychologique. Aujourd’hui, les salariés sont en quête de bien-être et d’un nouvel équilibre. D'après une étude réalisée par l'Ifop et Wittyfit en mai 2020, 81 % des salariés français font du bien-être au travail un enjeu prioritaire. Un chiffre qui a bondi de 25 points en à peine deux ans ! En ce sens, 27 % des travailleurs réclament une meilleure conciliation entre vie personnelle et professionnelle.

Face aux circonstances extraordinaires et à leurs impacts sur la santé des salariés, les employeurs ont renforcé leur approche en faveur de la QVT. Et ils ont initié des changements dès le confinement : “les entreprises ont testé en urgence des bonnes pratiques pour protéger la santé de leurs troupes”, constate David Mahé, président du cabinet Stimulus. Un de leurs enjeux post Covid est “d’infuser” une culture du bien-être au sein des organisations.

Plusieurs axes sont à explorer pour prioriser le bien-être au travail :

  • Orienter sa culture interne vers plus de QVT :

    1. Produire une charte du télétravail avec un volet bien-être et santé : comportement et pratiques à adopter, les écueils à éviter, les recommandations pour lutter contre la sédentarité, bonnes pratiques du management envers les équipes etc.
    2. Initier des actions envers la parentalité : signez la charte du “Parental act”, plus de 300 entreprises l’ont signé afin de faire bénéficier le second parent d’un mois de congé entièrement rémunéré. Certaines entreprises optent même pour aménager des espaces spécialement conçus pour les parents. C’est le cas de L’Oréal qui a mis en place trois crèches en Ile-De-France. Le groupe a également initié une Charte de la Parentalité afin de sensibiliser les salariés sur leurs droits, fournir des services aux collaborateurs et proposer l’aménagement des horaires de travail (possibilité de prendre 1 à 4 mercredi off par mois pour les parents d’enfants de moins de 12 ans).
  • Encourager des pauses bien-être : pendant le confinement, nombreuses sont les entreprises qui ont proposé à leurs équipes des sessions de yoga, méditation ou activités sportives en virtuel. Ces actions, piliers de la nouvelle expérience salarié, doivent se poursuivre via un sponsoring interne : prise en charge d’un abonnement (ou une partie) par l’employeur, organisation de sessions sportives en ligne, planification de programme de sport entre midi et deux… Selon la Fédération Française du Sport en Entreprise (FFSE), les Français sont très demandeurs : 9 salariés sur 10 aimeraient avoir accès à un programme bien-être au travail.

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2. En quête d’autonomie et de flexibilité : la révolution (tant) attendue du management

Pour 76% des salariés non cadres, le télétravail est le premier facteur d’évolution à mettre en avant post confinement ! Sans nul doute, on assiste à un large plébiscite pour le travail à distance. En effet, 43 % des nouveaux télétravailleurs estiment que la crise a fait évoluer positivement leur appréciation sur ce mode de travail. Pourquoi ? Pour 80%, il s'agit surtout de la souplesse et flexibilité offertes. L'autre raison principale demeure une plus grande autonomie (44%).

Graphique travail en temps de crise

L’enjeu principal des nouvelles conditions de travail est de pérenniser la pratique du télétravail. C’est en bonne voie : 74 % des responsables en ressources humaines en prévoient un développement dans les années à venir.


Comment infuser durablement l’autonomie et la flexibilité au sein de la culture d’entreprise ?

En transformant “son logiciel” de management : le télétravail “forcé” a été l’opportunité de challenger les anciennes pratiques managériales axée sur le “micro-management” et le présentéisme. En effet, la nouvelle configuration du télétravail invite à basculer vers un autre type de management appelé le “servant leader” popularisé par Robert K. Greenleaf. Cette pratique se caractérise par du soutien émotionnel, de l’écoute et de la reconnaissance. Ce qui fait écho aux attentes salariales : selon une étude réalisée par Payfit, en période d’incertitude, les collaborateurs attendent un management plus axé sur l’humain et l’individu. En pratique, il s’agit d’accompagner ses équipes de manière plus humaine et participative via un système de feedback continu, la mise en place d’ateliers collaboratifs, l’incitation à plus d’innovation individuelle et du développement personnel… Et les managers sont partants : 80% d’entre eux indiquent qu’ils sont prêts à donner de la souplesse aux équipes dans l’organisation des temps de travail.

Sans refonte du management, ce n'est pas du télétravail, mais du contrôle à distance », Charles-Henri Besseyre des Horts, professeur émérite de management à HEC Paris.

3. Transparence et écoute : une communication plus sincère face à l’incertitude

Durant la crise sanitaire de la COVID-19, la communication des entreprises a bondi : 88 % des entreprises ont lancé une cellule de crise et un plan de communication envers leurs collaborateurs. 64 % des salariés l’ont d’ailleurs jugé “bonne ou très bonne”. Continuer à communiquer avec toujours plus de transparence est primordiale en période d’instabilité. Le baromètre Edelman “Trust and the Coronavirus” a mis en évidence que 51% des Français souhaitent davantage d’information claires sur les actions de leur entreprise (sécurité, stratégie, investissements…). De même, en termes de communication ascendante, 77% des salariés aimeraient être davantage consultés et associés aux prises de décisions de leur direction.


Que faire pour développer un schéma de communication plus ouvert et sincère ?

  • Diffuser de l’information de manière continue pour installer un climat de confiance avec ses salariés. Pour cela, limitez les incertitudes en expliquant clairement les mesures économiques ou décisions RH en cours : baisse d’activité, télétravail, chômage éventuel, sécurité, organisation du travail etc. Pourquoi ne pas imaginer un mail récapitulatif ou un “post” hebdomadaire si vous avez un réseau social d’entreprise ou une chaîne dédiée sur Slack ou Whatsapp ?
  • Instaurer de la communication ascendante en organisant des sessions de questions-réponses réguliers type “chat” ou “Zoom”sur des thèmes stratégiques entre la direction et les salariés. En complément, pour recueillir les ressentis internes et détecter les “signaux faibles”, pensez aux enquêtes d’engagement auxquelles il faudra répondre avec des actions rapides, visibles et concrètes. L’écoute passe aussi par l’organisation d’ateliers participatifs sur les thématiques clés de l’entreprise (gouvernance, décisions…). Impliquer ses salariés est une forme de reconnaissance, levier d’engagement phare en période d’incertitude.

4. Redéfinir la mission d’entreprise : entre utilité et sens, les salariés veulent agir !

La crise sanitaire inédite que nous traversons a poussé de nombreux actifs à questionner leur utilité dans la société, particulièrement le sens de leur métier. 55 % des Français disent y avoir réfléchi. Ainsi, la quête de sens devient la deuxième attente formulée par les salariés après le bien-être. De nouvelles préoccupations et aspirations sociétales émergent bousculant ainsi les stratégies de marque employeur. Selon une enquête du cabinet Walters People, les valeurs et la culture qui étaient jusqu’alors en troisième position dans les critères des candidats, se placent désormais en deuxième position (41%) !


Comment répondre à ces nouvelles aspirations sociétales?

  • Mettre en avant ses engagements sociaux et humains. Durant la crise, certaines entreprises ont rapidement exprimé un engagement fort envers leurs salariés. Par exemple, le groupe Hermès a refusé les aides de l’État en maintenant le salaire de ses collaborateurs. Danone a sécurisé tous les contrats de travail de ses 100 000 salariés avec une couverture exceptionnelle pour tous les salariés (santé, garde d’enfants). Ces actions qui développent le lien d’appartenance et la fierté d’appartenance sont à poursuivre et à valoriser !
  • Redéfinir son approche RSE de manière collaborative : c’est le moment de réfléchir à la mission de votre entreprise avec vos collaborateurs. Quelle est votre raison d’être et vos impacts sur la société ? Dans quels domaines RSE (social, écologique…) vos collaborateurs veulent-ils s’investir ? Un bon exemple à suivre : Marc Benioff, le PDG de Salesforce, a créé le concept du “1-1-1”. La RSE est intégrée au fonctionnement de l’entreprise à savoir 1% du capital, 1% du temps des employés et 1% des produits de Salesforce sont attribués à des oeuvres philanthropique. Les salariés sont le socle de cette approche : dans leurs objectifs annuels, ils ont l’obligation de participer à des actions RSE de leur choix.

Selon une enquête PWC, les entreprises doivent investir sur trois axes pour être en phase avec l’expérience salariée de demain : devenir plus digitales, adopter la flexibilité comme mode de fonctionnement et devenir “employee centric”.

5. L’importance du lien social au coeur de l’entreprise “distribuée”

La crise de la Covid-19 a impulsé un nouveau rapport au travail fondé sur le digital. Effet collatéral : un salarié sur deux se sent moins connecté à ses collègues ce qui souligne un fort besoin de se retrouver, même virtuellement. 95% des salariés avaient d’ailleurs hâte de se réunir après le confinement. Ces attentes traduisent la vocation sociale et collective du “bureau” qu’il faut maintenir. En effet, la philosophe et sociologue Dominique Méda le souligne : "Il y a un énorme risque d'isolement et de vulnérabilité du salarié [...] toutes les interactions au bureau et la possibilité de former un collectif disparaissent avec le télétravail".


Que faire pour (re)bâtir un sentiment collectif ?

Il s’agit de réinventer le lien social malgré la distanciation physique. Pour cela, appuyez-vous sur le concept de propinquité : c’est la tendance naturelle à développer des liens interpersonnels étroits avec les individus qui nous sont les plus proches. L’idée est de créer de la proximité et d’encourager les échanges au sein d’une nouvelle expérience de travail plus “hybride” :

  • Instaurer des rituels réguliers à distance : des points d’équipe même rapides, formels ou non, l'essentiel est de maintenir leur récurrence. Quelques exemples initiés pendant le confinement :

    1. le Groupe Fed organise des “cafés au hasard”, au cours desquels 6 collaborateurs prennent quelques minutes en visio pour faire connaissance ou se donner des nouvelles.
    2. Les salariés de la néo-banque en ligne Qonto se rejoignent sur l’outil collaboratif Slack tous les mercredi et vendredi pour une compétition ludique telle que des concours photo.
  • Capitaliser sur les moments collectifs : étant plus rares, les rassemblements en “physique” doivent être 100% dédiés à la cohésion d’équipe. Créez des moments collaboratifs, des ateliers et des team building plus réguliers qui permettent aux équipes d'interagir. Misez surtout sur les activités sportives qui sont propices à la créations de liens : le cabinet de conseil Adone Conseil a créé une approche “feel good” pour les collaborateurs afin de proposer deux fois par mois des sessions collectives de sport ou d’initiation à des pratiques de médecine douces.
  • Multiplier les espaces de discussion autour de passions communes : les liens se créent majoritairement dans l’informel. À vous d’impulser des discussions sur Slack ou WhatsApp autour des séries, du sport, de la cuisine, des animaux de compagnie (vu pendant le confinement !). Ces espaces virtuels remplacent la pause classique à la machine à café et permettent aux participants de faire plus ample connaissance ou de briser la routine. L'agence d'information News Tank Higher Ed & Research a créé une chaîne “récréation” sur Slack afin de partager des anecdotes entre salariés. Une véritable communauté virtuelle a pris forme autour de moments de convivialité.

Le travail implique une dimension relationnelle et collaborative qui a été fortement impactée durant cette période”, Maurice Thévenet, professeur et expert RH à l’Essec.


SOURCES

  • Sondage du cabinet Empreinte Humaine et OpinionWay publié en avril 2020
  • https://ffse.fr
  • “Mon entreprise, ma santé (8/8). Le bien-être au travail, version TPE”, Le Parisien, septembre 2020
  • Enquête “DÉCONFINEMENT & APRÈS ? LES DRH S’Y PRÉPARENT”, ANDRH, avril 2020
  • Enquête sur comment les RH anticipent-elles l’organisation du travail en partenariat avec le groupe RH&M, OasYs et OpinionWay, auprès des 80 entreprises du CAC 40 et du Next 40 entre le 7 mai et le 5 juin 2020
  • Étude menée par Liaisons Sociales et OpinionWay
  • Interview dans Les Echos, octobre 2020
  • Étude Bien être, recherche de sens, implication dans la gouvernance des entreprises menée en début d’année par l’Ifop pour Philonomist
  • Étude menée début mai par Monster (mai 2020)
  • Interview pour Europe 1 , "C'est arrivé cette semaine", octobre 2020