Quelles similitudes existe-t-il entre coacher une équipe de sportifs et manager une équipe de cadres en entreprise ? Entre le sport de haut niveau et le monde de l’entreprise, les liens sont nombreux. De quoi en tirer un efficace profit. Pour le savoir, nous avons interrogé Jean-Pierre Doly, ex DRH/DG de Renault et Danone ainsi qu’ancien conseiller et intervenant auprès de la Fédération Française de Football et du Staff de l’équipe de France de Football. Il est l’auteur du livre Sport et Entreprise : Managers de talents. Un guide pratique de haut niveau pour améliorer son coaching sportif et son management en entreprise.
Bonjour Jean-Pierre. Dites-nous quelles sont les points communs et les différences entre le management d’une grande équipe de football et celui d’une équipe en entreprise ?
Il y a beaucoup de ressemblances dans le management d’une équipe professionnelle de football et celui d’une équipe en entreprise. Il faut recruter, animer les équipes, évaluer, former, communiquer… etc. Mais en ce qui concerne la structure d’une équipe professionnelle de football ou de cyclisme à haut niveau et une équipe au sein d’une entreprise, on constate des différences. Dans le milieu du sport, les équipes sont souvent composées de bénévoles. Dans l’entreprise, on côtoie plusieurs générations et une carrière professionnelle peut s’étendre au-delà de 60 ans contrairement à une carrière sportive de haut niveau qui s'échelonne de 15 à 35 ans. Les intérêts financiers sont différents également : dans l’entreprise, on vise à faire des recettes, alors que dans le milieu du sport professionnel on dépense de l’argent sans forcément avoir un retour sur investissement. Quand j’ai réalisé la partie “management” du diplôme d’entraîneur de football, j’avais l’habitude d’organiser un débat intéressant entre Franck Riboud ancien PDG de Danone) et Aimé Jacquet (DTN). Ils étaient surpris de voir qu’à 95%, ils pratiquaient les mêmes méthodes de management, avec un métier pourtant différent, notamment sur le fait de ne pas choisir nécessairement les meilleurs mais ceux qui sont capables de travailler/jouer ensemble en équipe !
Le rôle du manager est-il le même en entreprise que pour une équipe de sportifs professionnels ?
Dans l’entreprise comme dans le monde du sport professionnel, le rôle du manager est d’aider son équipe à réussir, à faire grandir chaque personne, de donner aux collaborateurs / joueurs la possibilité de faire ce qu’ils savent faire, de le faire au-delà du seul résultat et de les faire rêver en imposant des limites. Il doit passer de celui qui fait faire parce qu’il sait faire (expert), à celui qui sait faire faire, qui sait convaincre, qui sait faire adhérer, et pour cela gagner d’abord la compétition / réussir un projet contre… lui-même ! D’ailleurs, Michel Hidalgo le résume très bien : “La qualité numéro 1 d’un entraîneur, c’est d’être entraînant.” Car c’est l’entraînement qui prépare la compétition ou la réussite d’un projet. Le manager et le sportif de très haut niveau travaillent davantage et surtout mieux que les autres : le manager s’imprègne de ce que font les autres, y compris dans d’autres sports / secteurs d’activité.
Les valeurs du sport peuvent-elles être transposées dans le monde de l’entreprise ?
Toutes les valeurs connues du sport sont valables pour l’entreprise. À savoir entre autres : la solidarité, la coopération, le dépassement de soi, l’intelligence collective, l’esprit d’équipe, le respect , ou encore le courage. Ces valeurs sont indispensables dans l’entreprise. Elles permettent de construire ce que j’appelle une “dream team”. Il s’agit d’une équipe dans laquelle la connaissance, la confiance, la complémentarité, l’entente des membres sont au top. Ils partagent les mêmes valeurs, la même vision, les mêmes objectifs. Quand on arrive à ce haut niveau de solidarité c’est extra-ordinaire !
Le sport est-il un révélateur de talent dans l’entreprise ?
Les salariés qui font du sport ont ce petit quelque chose en plus, notamment s’ils pratiquent un sport collectif. Cela se ressent au niveau des valeurs. Ils savent ce qu’est l’esprit d’équipe, la solidarité, la coopération, le respect des règles et de l’autre. Toutes ces valeurs sont complètement transférables dans l’entreprise. D’ailleurs, lorsque je recrutais, je m’intéressais à ce que les candidats à des postes de managers mettaient comme loisirs dans leur CV. Je ne prenais pas que cela en compte évidemment dans mes recrutements mais je faisais tout de même une différence entre les sports collectifs et individuels. Que ce soient des sportifs de haut niveau ou des managers à haut potentiel, voire même tous les sportifs et tous les managers, nous avons tous un ou des talents, encore faut-il les reconnaître ! Un talent , c’est un atout , une aspérité , une différenciation , quelque chose que quelqu’un a fait et que d’autres n’ont pas fait , mais attention, un talent qui dort ne sert à rien. Car comme le disait Paul Valéry : “Le talent sans génie est peu de chose, le génie sans talent n’est rien !”.
Peut-on dire que le sport permet de développer en particulier les “soft skills” ?
Tout à fait. Le sport permet de développer les fameuses “soft skills” que les entreprises recherchent lors du recrutement d’un collaborateur. Cela passe par l'adaptabilité à des situations imprévues, l’agilité - le “jeu de jambes” comme on dit dans le sport, le collectif, l’autonomie, la responsabilisation, la loyauté ou encore le respect des autres et des règles. Ces compétences comportementales développées par le sport sont intéressantes pour le recruteur notamment pour un poste de leadership. Les “soft skills” peuvent donc s’acquérir à travers l’activité sportive et sont transférables dans le monde de l’entreprise. Si en plus l’entreprise embauche des sportifs de haut niveau, elle peut facilement retrouver ces compétences.
Vous dites dans votre livre Sport et Entreprise : Managers de talents que les sportifs de haut niveau et les hauts potentiels en entreprise ont des talents spécifiques qui demandent un management particulier, lequel ?
Selon moi, tout part du management de projet. Un sportif de haut niveau est habitué à un cadre et à s’adapter en permanence. Il travaille par projet. Par exemple : “Je veux me préparer pour les JO 2024 et je sais quoi faire pour y arriver”. Quand la balle est du côté du manager, le choix des personnes est important. Quand on a la possibilité de choisir ses équipes, on ne choisit pas forcément les meilleurs mais ceux dont on sait qu’ils vont pouvoir travailler pour ce projet. Ce n’est pas forcément les meilleurs dans leur discipline qui réussissent mais ils savent comment travailler en équipe avec toujours en tête l’objectif du projet à atteindre. Cela veut dire qu’il faut toujours donner la priorité au groupe, à l’équipe, en se donnant le droit à l’erreur. Un sportif a forcément de l’audace et aime la prise de risque. Pour le haut potentiel en entreprise, c’est pareil. On doit lui faire comprendre qu’il faut oser avoir de l’audace, innover, faire des suggestions et tout cela avec humilité. Les sportifs de haut niveau s’inspirent beaucoup des autres et font preuve d’humilité. Lorsque vous lisez les interviews des tennismen, ils s’inspirent tous des trois grands : Nadal, Federer, Djokovic. Cet apprentissage permanent caractérise les SHN ou les HP. Un manager du haut niveau / de talent doit toujours être en recherche sur lui-même, sa structure, son organisation et être en veille permanente vis-à-vis de l’extérieur et pas seulement dans son domaine. Ces managers peuvent s’inspirer par exemple de chefs d’orchestre ou de chefs cuisiniers. Il y a toujours de l’inspiration à puiser dans l’expérience des autres dans d’autres domaines.
Si on fait le parallèle avec les Jeux Olympiques et l’entreprise, pourquoi en France, on réussit mieux en équipe qu’individuellement ?
C’est ce que j’appelle “le French paradoxe”’ ! En France, nous sommes jugés pour être une population individualiste et égoïste dans le monde entier alors que nous sommes plutôt doués dans le collectif. On gagne principalement en équipe. Le Français est fait pour le travail d’équipe ! En tout cas davantage que pour le travail individuel. On l’a vu bien aux Jeux Olympiques de Tokyo (handball, basket, volleyball…). La France a gagné davantage de médailles et de trophées en compétition par équipes - par exemple en relais en athlétisme - qu’en individuel, malgré la réputation des Français d’être individualistes ! Même lorsqu’on récompense un sportif, le collectif ressort toujours. Lorsque Messi a gagné le ballon d’or, il a dit “ce ballon d’or, je ne l’ai jamais gagné tout seul, c’est toute mon équipe”. En entreprise, les grands managers nous apprennent qu’il ne faut jamais surévaluer une victoire, qu’il faut l’aborder avec modestie et humilité car “Le succès, c’est d’aller d’échec en échec sans perdre en enthousiasme" (Winston Churchill) et un individu prendra plus de risques et d'initiatives s’il sait qu’il a le droit à l’erreur et même à l’échec tout comme dans le sport professionnel. De plus, il ne peut y avoir de réussite sans une attitude cohérente du leader qui doit informer, communiquer, aider à comprendre et à développer sa vision auprès de son équipe. En entreprise, pour obtenir de bons résultats et réussir, il faut savoir vérifier si tous ont bien compris l’objectif.