On le redoute autant qu’on l’attend : l’entretien d’évaluation est souvent vécu comme une tornade émotionnelle dans l’expérience collaborateur. Pourquoi une telle appréhension négative à l’égard de ce quasi rite professionnel ? Sa vocation originelle n’est-elle pas de favoriser l’échange entre managers et collaborateurs ?

Dans un contexte de remises en cause profondes du modèle organisationnel traditionnel, cet outil de pilotage des compétences, de la performance et des carrières, doit, lui aussi, se réinventer. En miroir aux tendances du travail actuelles, des pratiques plus agiles et collaboratives émergent : feedback, check-in, 360°, auto-évaluation… Entre éradication totale, innovation et version 3.0, l’entretien individuel est en quête d’une nouvelle identité au sein de l’entreprise du futur. Rétrospective et prospective d’une pratique RH en métamorphose.

Vous pouvez également télécharger notre guide pratique pour réinventer l'entretien annuel

Quelques chiffres :

L’entretien annuel, réceptacle qui cristallise de nombreuses frustrations individuelles ? Les chiffres semblent parler d’eux-mêmes.

Chiffres entretien annuel

La genèse de l’entretien annuel : Chronique d’une mort annoncée

  • Cadre légal : quelques éclairages

Contrairement à l’entretien professionnel, l’entretien annuel ne constitue pas une obligation légale. L’employeur peut décider unilatéralement de mettre en place une procédure d’évaluation. Seule contrainte légale : conformément à l’article L.1222-3 du Code du travail, « le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard ». L’entreprise ne peut donc, en aucun cas, convoquer un salarié à un entretien annuel sans l’avoir prévenu. Quant à lui, il ne peut refuser l’entretien dès lors qu’il en a été informé.

  • Évaluer… mais pour quoi faire ?

L’entretien annuel est un outil managérial et RH essentiel pour l’entreprise. C’est une occasion privilégiée, pour le supérieur hiérarchique, d’échanger avec son collaborateur. C’est aussi, et surtout, un moment propice au ralentissement : une fois dans l’année, on prend du recul pour revenir sur les actions réalisées et préparer celles à venir.

Le but ? Évaluer les résultats de son activité et sa performance, clarifier les problèmes éventuels, capter les irritants, motiver et fixer les objectifs pour l’année à venir. Le volet motivationnel est clé : en décelant le potentiel du collaborateur, ses souhaits d'évolution et ses besoins de formation, manager et équipes RH peuvent proposer des parcours professionnels adaptés. Un levier clé dans la gestion des carrières face à l’enjeu de la fidélisation : 82,5% des DRH se disent préoccupés par ce sujet. Il représente également le moment de l’allocation des fameuses « enveloppes » dédiées aux augmentations.

  • Symbole de l’ère du « command and control »

L’entretien individuel est une composante de l’organisation pyramidale instituée au XXe siècle. Globalement, l’entreprise hiérarchique fixe le cap pour les années à venir. Puis, les objectifs qui en découlent donnent la marche à suivre aux salariés. Ceux-ci doivent alors les décliner au niveau opérationnel. Charge aux managers de piloter l’atteinte des objectifs individuels et collectifs, d’où la nécessité d’évaluer afin de récompenser ou de sanctionner.

Cette vision rigide, peu participative et, parfois, infantilisante, est critiquée par certains sociologues, tel que Philippe Zarifian. Spécifiquement, il remet en cause le fait d’être soumis à l’évaluation de résultats dans la méconnaissance du travail réel et de ses contraintes.

Les critiques de l’entretien d’évaluation : Lost in translation

Depuis plusieurs années, l’entretien annuel est de plus en plus décrié, balayé ou réinventé. Que lui reproche-t-on ? Périodicité inadéquate, partialité dans l’évaluation, « scoring » non pertinent, méthode anxiogène... C’est aussi et surtout l’expression d’une entreprise en révolution qui est bousculée par 5 mutations simultanées et inédites :

« Génération feedback » : avec l’arrivée sur le marché du travail des Millennials, adeptes des réseaux sociaux et de la culture web, les processus d’évaluation longs et formels sont en perte de vitesse. En effet, les « digital natives » s’attendent à vivre les mêmes expériences dans leurs interactions professionnelles : immédiateté, spontanéité et transparence. En particulier avec leur n+1, avec qui ils espèrent une relation directe et un feedback régulier sur leur travail.

Crise de l’engagement : 6% des salariés français sont engagés en 2018 ! Ce chiffre édifiant nous invite à questionner l’organisation hiérarchique encore majoritaire au sein des entreprises. Plus particulièrement les procédures de gestion des compétences décorrélées des attentes salariales : autonomie, flexibilité et responsabilité. Un point clé à adresser alors que le coût du désengagement atteint plus de 12 600€ par an et par salarié.

L’émergence du mode projet : le fonctionnement matriciel brouille la lisibilité du rapport « top-down » et délimité entre manager et managé. De même, il participe à l’accélération des cycles professionnels : le trio « un CDI à vie, une fiche de poste, un manager » ne s’inscrit plus dans le parcours salarial actuel, à la fois protéiforme et sinueux.

L’arrivée des néo-managers : le management « command & control » issu de la « Théorie X » de Douglas McGregor est en train de pivoter vers des pratiques plus collaboratives et participatives. Les managers endossent de nouvelles prérogatives : d’encadrants, ils deviennent facilitateurs ou coachs afin de développer le potentiel des individus. Peut-on encore parler d’évaluation ?

Un nouveau rapport au travail : « les sociétés occidentales sont fondées sur le travail », écrivait Habermas. 80 % des Français le considèrent encore comme l'une des composantes essentielles de leur identité. C’est essentiellement notre vision du travail telle qu’on l’a connue au XXe qui est en train de s’effriter. En effet, aujourd’hui le but n’est pas tant d’avoir un travail que d’exister à travers lui. Il devient une finalité de l’existence guidée par le sens et les valeurs, voire, un moyen de dépassement de soi. Alors, quelle place y a-t-il encore pour lien de subordination inhérent au contrat de travail ? Quid de l’évaluation ?

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Le futur de l’entretien annuel : C’est ton destin

Deux alternatives majeures semblent se dessiner pour l’entretien d’évaluation : un choix radical pour certains avec son éradication ou la mise en place d’un dispositif de suivi des compétences plus régulier, multiple et collaboratif.

  • Une nouvelle approche fondée sur 5 piliers

D’un événement « one shot » décorrélé du rythme professionnel, l’entretien individuel « s’hybride » et se renouvelle. Il prend la forme d’un programme continu d’accompagnement des salariés. 5 piliers régissent cette nouvelle approche :

  1. Clarification des objectifs : la tendance est à séparer les rendez-vous dédiés à l’évaluation de la performance (atteinte ou non des objectifs) et ceux dédiés au potentiel et au développement des salariés.
  2. Application du « Radical candor » : pour mener un bon feedback, il faut être capable de faire un retour de façon franche et empathique selon Kim Scott, initiatrice de ce principe.
  3. Du rythme et de la régularité : pour créer du lien et avoir une vision exhaustive des réalisations ou du potentiel d’un salarié, les moments d’échanges doivent être plus récurrents, courts et multi-formes.
  4. Une perception complète : beaucoup d’entreprises en mode projet ont lancé le feedback 360° afin de mettre en exergue les écarts de perception et de limiter les biais inhérents à l’évaluation unilatérale.
  5. Une posture de coaching : les scorings de mesure de la performance initiés par le groupe General Electric il y a plus de trente ans sont obsolètes. Jugés inadéquats, incisifs et stigmatisants, les échanges prennent de plus en plus la forme de session de coaching afin de s’inscrire dans une démarche de progression continue.

Radical candor

  • Vers une approche holistique de l’évaluation : les modalités émergentes

Déroulé annuel

Entretien pivot : en début de chaque mission ou projet, il est clé de co-définir les objectifs individuels et communs entre le manager et son collaborateur. C’est une feuille de route qui va jalonner leurs échanges tout au long de l’année. Ils doivent être clairement explicités, chiffrés si possible et les moyens de les atteindre partagés.

Le cas RH : certaines entreprises demandent aux salariés de fixer eux-mêmes leurs objectifs sur la base des OKRs (Objectives Key Results qui découlent de la stratégie d’entreprise). À chaque objectif est associé des « Key Results », à savoir, des indicateurs de performance atteignables et mesurables.

Pour renforcer l’aspect participatif, Etam invite chaque salarié à fixer lui-même ses objectifs et à les partager avec son n+1. Seule condition : s’engager sur un plan d’actions sur un temps donné. Un changement de posture axée sur la responsabilité individuelle.


Feedback individuel continu et/ou hebdomadaire : créer des moments d’échanges spontanés et réguliers pour que la communication soit plus fluide et « dépassionnée ». Le feedback, en fonction de la culture de l’entreprise, peut être hebdomadaire, bimensuel ou au fil de l’eau. C’est une manière de donner des retours rapides sur des actions concrètes.

Les cas RH : Dès 2015, Accenture a décidé d’en finir avec les entretiens d’évaluation annuels. L’entreprise de conseil les a troqués contre un système de retour systématique du supérieur hiérarchique dès qu’une action a été menée par un collaborateur.

Mazars France déploie le feedback permanent en s’appuyant sur un outil digital qui collecte puis envoie des retours immédiats entre managers et salariés. Un tournant dans les rapports hiérarchiques : les salariés se sentent plus soutenus que jugés. Un exemple qui prouve que l’on peut s’extraire du modèle issu de notre système éducatif binaire qui sanctionne ou récompense.


« Check-in » trimestriel : jalon de l’entretien pivot, le « check-in » est un point d’avancement sur les objectifs fixés et la performance. Des étapes qui permettent d’ajuster la charge, de partager sur les difficultés, de mettre en place des actions correctives, de détecter les irritants et surtout d’éviter des situations bloquantes.

Les cas RH : Adobe a lancé les « check-in » pour permettre aux collaborateurs d’échanger en continu avec leur manager sur leurs réalisations. En termes de rythme : les managers sont incités à faire le point avec les salariés, au minimum toutes les 8 semaines.

Microsoft a lancé un système de « face-à-face » trimestriel : plus agile, cette rencontre a vocation à évaluer les compétences des collaborateurs et à créer les meilleures dispositions pour parvenir à leurs objectifs (formation, coaching…). Un mode plus réactif qui sort des grilles d’évaluation statiques.


Entretien de développement : pour donner du sens aux collaborateurs, il est essentiel de créer un rendez-vous annuel ou biannuel axé sur leur potentiel (versus la performance). C’est un moment clé où les managers et les RH peuvent identifier les souhaits professionnels, les axes de développement et les leviers de motivation. Le but est d’individualiser les parcours professionnels afin qu’ils soient en phase avec les attentes profondes de chacun.

Le cas RH : Google a transformé son système d’évaluation en choisissant de séparer les discussions sur le salaire qui se font lors d’une réunion spécifique. D’un point de vue symbolique, la motivation des salariés n’est donc plus liée exclusivement aux résultats ou au salaire.

Et côté forme, quelles innovations ?

Le lieu de l’entretien peut aussi être repensé !

  • Pourquoi pas mener cet échange dans un endroit neutre, hors des bureaux, afin de créer une atmosphère plus conviviale ? La Camif s’est lancée dans la méthode des entretiens en marchant, plus inspirants et propices à la discussion.
  • Pour aller plus loin : le sport peut aussi jouer un rôle « d’ice breaker ». Se retrouver autour d’une activité sportive permet de lever les barrières statutaires et libère la parole.

Feedback 360° : le but est d’obtenir une évaluation plus objective qui ne repose pas sur une seule personne. Très concrètement, le manager, les pairs et d’autres collaborateurs (acteurs à définir) remplissent un questionnaire unique pour un même collaborateur.

Le cas RH : Cette démarche est utilisée depuis plusieurs années par Google et Twitter. Chez Just Eat, on va plus loin ! L’entreprise pratique le 360° pour les managers également. Une fois par an, les collaborateurs réalisent un retour auprès de leur manager sur les points positifs observés et les axes d’amélioration souhaités.

Focus : Feedback 360°, comment bien le déployer ?

  • Définir l’objectif : est-ce dans l’optique d’évaluer la performance ou de développer le collaborateur/ manager ?
  • Établir un diagnostic de situation : dans un contexte social tendu, il n’est pas recommandé de lancer une telle démarche qui demande beaucoup de transparence et de communication.
  • En amont du lancement, bien communiquer le cadre, les objectifs et toutes les étapes auprès des salariés. S’appuyer sur des cas d’entreprises pour en montrer les bénéfices est un bon moyen de rassurer les salariés.
  • Cibler : pour qui lancez-vous cette démarche ? Est-ce pour les managers uniquement ou l’ensemble des salariés ? Vous pouvez démarrer par une phase pilote avec l’équipe dirigeante, les managers et les RH. Puis, l’étendre aux collaborateurs. Le feedback 360° est une véritable culture qui se construit par étapes en embarquant toute l’organisation.
  • Qui mène le feedback ? Le collaborateur peut choisir les pairs qui lui semblent pertinents. Le manager joue tout de même un rôle de modérateur en proposant, si nécessaire, d’autres personnes. Cette étape doit se faire en toute transparence.
  • Le questionnaire : en fonction de l’objectif, les questions devront être orientées sur les compétences techniques et/ou les soft skills. Pour vous faciliter la tâche, n’hésitez pas à utiliser des outils pour consolider les résultats : Javelo, Lattice, Elevo...
  • Mettre en en place une restitution systématique des résultats par un intervenant interne ou externe (RH, coach, manager…).

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SOURCES :

Etude de Deloitte sur les tendances RH 2017

Article Robert Half sur la stratégie de fidélisation des collaborateurs, mai 2017

Zarifian Philippe, Travail et communication. Essai sociologique sur le travail dans la grande entreprise industrielle

Enquête Cegos de 2017 sur les Millennials.

Gallup 2018

Apicil & Mozart Consulting 2017

Le travail: « Que sais-je ? » n° 2614, Dominique Meda

Insee

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