Larry Fink, ça vous parle ? En 2018, le PDG de BlackRock, la plus grande société d’investissement au monde, appelait les entreprises à définir leur « raison d'être » afin qu’elles s’inscrivent dans une approche long terme. Une bascule en termes de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) ? (Encore) un joli coup de « social washing » ?
La RSE est au cœur des sujets socio-économiques et RH : entrée en vigueur de loi PACTE, jeunes actifs dont 71 % souhaitent travailler pour une entreprise qui partage leurs valeurs, citoyens plus engagés dans leur choix de consommation.... Agir devient inévitable pour les entreprises. Mais par où commencer ? Comment s’inscrire dans des actions impactantes, durables et porteuses de sens ? Un tryptique à construire en s’inspirant des 6 tendances RSE majeures pour le futur .
Tendance RSE #1
L'entreprise contributive : accélérateur d’innovations sociales
Dans un contexte où le l’État providence se rétracte, les entreprises prennent le relais : elles endossent un nouveau rôle d’utilité sociétale. La création de valeur économique reste essentielle mais n’est plus une fin en soi. C’est un moyen mis au service du collectif pour accélérer le changement social. Selon une enquête, 88 % des Français approuvent l’idée de redéfinir la finalité de l’entreprise dans le code civil en intégrant des dimensions liées à l’intérêt général. Le rôle étendu et contributif de l’entreprise se matérialise aujourd’hui par des initiatives de partage de compétences (mécénat de compétences), de réductions des inégalités (fondations) ou de redistribution du résultat (microdon, don de jours de congés).
L’initiative RSE : Alain Mérieux, Président de l'Institut Mérieux, a lancé avec dix-sept entrepreneurs lyonnais la création de l'Entreprise des Possibles, un collectif destiné à aider les sans-abris. L'initiative s'organise autour d'un fond de dotation qui est redistribué à des associations spécialisées. Trois formes d'engagement existent :
- Le crowdtiming : sous le format de mécénat de compétences ou pro bono, les salariés effectuent des jours de bénévolat avec abondement en heures ou en jours par l'employeur.
- Le crowdfunding : le collaborateur offre un congé payé ou une RTT majoré par l'entreprise.
- Le crowdlodging : mise à disposition de locaux vacants.
Et demain ? Après la vague des shadow COMEX … l’institution obligatoire du comité RSE ? Si l’entreprise devient l’acteur pivot de la réalisation du projet sociétal de demain, il faut que les questions RSE soient portées et adressées au niveau stratégique. Parmi les entreprises du CAC 40, 20% auraient déjà un comité RSE au sein du Comex ou Codir en 2018.
Tendance RSE #2
L'entreprise territoriale : nos régions ont du talent !
Le mouvement des « gilets jaunes » a mis en lumière un sentiment profond de « fracture territoriale ». Il y aurait une France des métropoles, très dynamique, face à une France périphérique, économiquement en déclin et délaissée. 80% des Français jugent que les grandes villes et Paris bénéficient majoritairement de la politique du gouvernement. Effectivement, 40 % des offres d’emploi sont concentrées dans les dix plus grandes agglomérations.
Pour apaiser ces tensions, l’entreprise joue un rôle économique et social fondamental. En effet, on voit émerger des modèles hybrides où l’associatif, les collectivités et l’entreprise travaillent conjointement pour redynamiser les régions et retisser des liens sociaux. Le « liant » se fait au sein de collectifs ou de tiers lieux où sont expérimentés de nouveaux modèles prônant l’ouverture, l’innovation et l’horizontalité. L'Hexagone compte 1800 tiers lieux dont 46 % en dehors des métropoles. Patrick Levy-Waitz, Président de la Fondation «Travailler Autrement » témoigne de leur valeur ajoutée : « ils approfondissent le lien social (...) et hybrident l’économie solidaire et le modèle traditionnel ».
L’initiative RSE : « Territoires zéro chômeur » est une expérimentation collective au sein de dix zones rurales et urbaines pour sortir les chômeurs de la précarité. Entreprises (à but d’emploi) et pouvoirs publics travaillent ensemble pour analyser les compétences des chômeurs, étudier les besoins du territoire et créer des activités adéquates. À la clé, des CDI financés en partie par le coût du chômage (RSA, CMU, manque à gagner fiscal...) et par les revenus générés par l’activité.
Et demain ? Après les vagues de délocalisation, les entreprises feront-elles le choix de la relocalisation en région pour capitaliser sur les savoir-faire locaux à l’instar d’Hermès ? La majorité de la production est faite au sein des dix régions françaises. Avec Pôle emploi, les équipes RH ont mis au point une méthode de recrutement « par simulation » qui favorise le recrutement local sur la base des compétences. Résultat ? Ces 6 dernières années, 2 000 emplois ont été créés au sein des 41 sites.
Tendance RSE #3
L'entreprise à mission : le trait d’union entre l'économique et le social
Le modèle de l’entreprise à mission questionne la finalité et les objectifs purement économiques de la « firme » défendus par Milton Friedman en 1970. La performance économique est mise au service d’une mission (sociale, sociétale, environnementale ou scientifique) qui doit être explicitée dans son objet social. Concrètement, sa « raison d'être » est intégrée aux statuts légaux. Cette vision engagée de l’entreprise répond aux attentes des collaborateurs : 73% pensent que les entreprises ont le pouvoir pour transformer la société. Les entreprises à missions sont souvent labellisées B Corps ou Lucie : La Camif (consacrée en 2015) incarne ce modèle en misant sur le « made in France ». En France, le statut sera officiellement reconnu avec la loi Pacte adoptée par le Sénat en 2019.
L’initiative RSE : sans être officiellement des entreprises « estampillées » à mission, on voit émerger des projets citoyens et solidaires portés par de jeunes entrepreneurs. Mister K, vestiaire solidaire, créé par Charlotte Husson en 2015, reverse 5% de ses ventes à Gustave Roussy (Institut européen de recherche contre le cancer). Par ailleurs, les collections sont co-créées avec des usines partenaires soigneusement choisies en Europe et France par souci de transparence et de responsabilité sociale (salaire, matière choisie…).
Et demain ? L’entreprises à mission, nouvelle norme ? Aux États-Unis, on en compte déjà 2000… Et, 62% des jeunes ne veulent travailler que « pour des entreprises et organisations qui cherchent à délivrer un impact environnemental et social positif ». Des signaux positifs qui questionnent l’obsession de la croissance à tout prix pour tendre vers un nouveau paradigme économique plus raisonné, parfois nommé la « slow economy ». C’est aussi une piste de réflexion amenée par Carole Juge-Llewellyn, CEO de Joone : elle renverse la doxa actuelle selon laquelle l’entreprise doit absolument être « scalable » pour réussir. À découvrir dans sa vidéo.
Tendance RSE #4
L'entreprise participative : le sursaut démocratique
À l'aune du Grand débat national, les tensions autour de la répartition du pouvoir en entreprise sont vives. Les salariés revendiquent leur droit à être davantage consultés et écoutés. 90% des salariés estiment qu'ils devraient participer à l'élaboration de la stratégie d’entreprise. Or seuls 25% sont satisfaits de l’attention portée à leur opinion. Selon Frédéric Laloux, auteur du best-seller « Reinventing Organisations », les nouvelles formes d’organisation qui se profilent répondent à cette problématique de gouvernance. Il a suivi plus de trente entreprises qui revendiquent une gestion partagée, transparente et inversée. Les caractéristiques communes du modèle « opale » ? Abolition des strates hiérarchiques, capacité d’auto-organisation et partage plus équitable de la richesse et du pouvoir.
L’initiative RSE : après le passage difficile de la crise de 2008, Alexandre Gérard, PDG de Chronoflex, a initié de nombreux changements pour sauver son entreprise et ses employés. Mais il ne l’a fait pas seul : il s’en réfère à la créativité de ses salariés qui ont planché collectivement sur la nouvelle organisation. Les grands axes de transformation ? La pyramide managériale a été inversée, les collaborateurs s’auto-contrôlent et chaque équipe nomme pour trois ans un « capitaine ». Utopiste ? Pas vraiment, le turnover est passé de 25% à 16% et le taux d’absentéisme de 13,2% à 9,2%.
Et demain ? Co-décision, co-gestion, collaboratif… Tous en mode « co » ? 55% des salariés souhaitent assurer une place plus importante dans les instances de gouvernance. À l’heure de la désintermédiation offerte par le numérique et les réseaux sociaux, de nombreux groupes comme EDF ou Veolia co-élaborent déjà leur stratégie, en direct et sans filtre, avec les salariés. L’entreprise étendue et les principes « d’open innovation » invitent à franchir un autre cap : clients, citoyens, freelances... seront-ils, à leur tour, co-décideurs ? Cela se profile : le groupe Total a organisé un live le 12 mars 2019 pour présenter les résultats du groupe… et le PDG, Patrick Pouyanné, a répondu aux questions des participants.
Tendance RSE #5
L'entreprise inclusive : un travail pour tous, tous pour le travail !
L’entreprise du XXIe siècle est à l’image de notre société : plurielle et nourrie de diverses trajectoires. De plus en plus d’entreprises s’ouvrent à des profils atypiques grâce aux politiques de non-discrimination et en faveur de la diversité. On compte plus de 3800 entreprises signataires de la Charte de la diversité. Des cabinets spécialisés tels que Mozaïk RH aident également à lutter contre les discriminations à l’embauche en proposant des viviers de talents difficilement accessibles par les recruteurs (jeunes des quartiers défavorisés, personnes handicapées, seniors…). Côté politique, même dynamique : le projet de loi « Avenir professionnel » simplifie l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés et l’obligation national « Cap vers l’entreprise inclusive 2018-2022 » redimensionne le secteur des entreprises adaptées.
L’initiative RSE : dans le cadre de One Young World et pour répondre à la crise des migrants en Hollande, un jeune intrapreneur de l’Oréal a créé « L’Oréal Integration Academy » : un programme d'insertion des réfugiés grâce à l’apprentissage d’un métier dans le secteur de la beauté. C’est une approche complète axée sur les compétences, la culture et la langue afin de faciliter leur entrée sur le marché du travail. Résultats : en 2018, dix personnes ont suivi le programme ; en 2019, le programme accueillera 35 participants ; d’ici 2020, 135 deviendront coiffeurs professionnels. L’entreprise joue ici pleinement son rôle d’intégrateur social en s’appuyant sur le tissu associatif.
Et demain ? Émergence de « clusters » dédiés à l’inclusion ? Emmanuel Faber, PDG de Danone et Thomas Buberl, PDG d’Axa ont lancé un collectif pour bâtir l’économie inclusive de demain. Ce « laboratoire » rassemble aujourd’hui 19 entreprises soit plus d’un million de salariés. Qui sont les précurseurs ? Des grands groupes tels que Accor, Axa, BNP Paribas, Carrefour, Crédit mutuel, Crédit agricole, Danone, Engie, Korian, Orange, Schneider electric, Sodexo et Veolia…
Tendance RSE #6
L'entreprise « éco-systémique » : make our planet great again
Les entreprises se sont emparées du sujet environnemental, conscientes de leurs externalités négatives. En 2017, 98 % d’entre elles ont placé les responsabilités relatives au changement climatique au niveau du conseil d’administration. Elles s’inscrivent de plus en plus dans une perspective durable avec des actions à plusieurs niveaux :
- Les gestes écologiques : tri, fin des gobelets, économie d’énergie... Chaque année, selon l’ADEME, les bureaux français consomment près de 55 000 gWh d’électricité. Selon RTE, cela représente 3,8 % des émissions totales de la France.
- Les initiatives plus radicales comme le retrait d’activités non respectueuse des écosystèmes. Maisons du Monde refuse le bois issu de zones sensibles ou la fourrure animale. Le groupe Crédit Agricole s’est désengagé du financement des activités liées au charbon. Ou encore, AccorHotels qui travaille avec des sous-traitants de blanchisseries industrielles à l’élimination de certains produits chimiques.
L’initiative RSE : la révolution environnementale des entreprises ne peut se faire sans embarquer les salariés. Comment ? En adressant enjeux planétaires et quotidiens… comme le trajet pour se rendre au travail, par exemple ? 78 % des trajets se font en voiture et en solo. L’entreprise propose déjà des solutions :
- Le télétravail comme chez Société Générale où 40 % des collaborateurs des services centraux sont concernés
- L’incitation à l’usage de mobilités propres en communiquant sur la prise en charge de l’indemnité kilométrique vélo
- Ou encore l’autopartage ou le co-voiturage ? L’adoption du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM) va dans ce sens avec un forfait mobilité durable allant jusqu’à 400 €/an
Et demain ? La pollution numérique, défi du XXIe siècle ? Ordinateurs, smartphones, data centers, réseaux et objets connectés génèrent 10% de la consommation mondiale d'électricité. La part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre a augmenté de 50% depuis 2013. Paradoxalement, ce sont des start-up de la « clean tech » qui s’activent pour imaginer des solutions moins énergivores ! Plus de 1,2 milliards ont été investis dans les cleantech en 2018. Ecosysgroup, par exemple, développe des solutions dans les éco-technologies et la data intelligence.
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SOURCES :
- Enquête Yougov et Monster 2018
- Enquête Elabe sur la perception des Français pour l’entreprise, 2018
- Enquête de L’Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (Orse) et des Enjeux et des Hommes, 2018
- Selon le baromètre Ipsos-Villes de France publié mercredi 13 février (enquête réalisée du 23 au 30 octobre 2018 auprès d’un échantillon représentatif de 1 600 personnes)
- Selon Pôle Emploi
- Fondation travailler autrement : Rapport de la mission Coworking : Territoires, Travail, Numérique (2018) remis au gouvernement.
- Étude Global Tolerance
- Selon l’étude BVA-bluenove décembre 2018 intitulée Baromètre sur l’intelligence collective massive : où en sont les entreprises ?
- Chiffres issus de l’article Flexjob
- Article de Jean-Marc Vittori pour Les Échos
- Étude annuelle du Carbon Disclosure Project (2017)
- Étude Sparknews
- Infodurable
- Article Les Echos 12/09/18
- Article La Tribune 18/12/2018